S, comme séquence


Photo by Debby Hudson on Unsplash


Quelle qu’en soit sa nature, son intensité et ses modalités, loin d’amorcer la fin de la crise, le déconfinement vient ponctuer la fin d’une séquence. Comme pour annoncer un 2ème acte, un deuxième set ou un second chapitre selon le domaine de référence privilégié de chacun. 

Qu’elle ait été source d’ennui, de mélancolie, de peine, de frustration, d’enthousiasme, d’attente, de tristesse, de plaisir, de contrariété, de colère, de joie, d’angoisse ou de soupçon. Qu’elle ait plutôt été investie de façon travailleuse, dilettante, bricoleuse, gourmande, re-liante, amusante, violente, surchargée, haineuse, introspective, transgressive, légaliste ou indifférente ; qu’elle ait été enfin vécue seul, à deux, en famille ou en communauté ; nous sommes tous invités maintenant à faire le deuil de cette période que nous n’avions ni anticipé, ni souhaité. A prendre le soin d’en faire le bilan et d’en tirer des enseignements. Au risque sinon de choisir l’ingratitude en privilégiant de rattraper le retard plutôt que d’honorer l’expérience qui vient d’être vécue ; la fuite en avant au détriment du soin des gens ; la société du spectacle à l’incarnation de nos vies ; et la mégalomanie à la reconnaissance honnête de nos influences multiples. 

A titre personnel, ayant eu la chance de vivre des temps perturbés dans un passé plus récent (cf. T comme traversée), j’ai eu la chance d’aborder cette crise dans un contexte favorable, libre d’augmenter le curseur de mes différents engagements à ma guise et avec un esprit vaillant. 

J’ai gouté à ma liberté de confiné et apprécié le nouveau rythme que je me suis offert. J’ai aimé le renforcement des liens avec les membres de mon « club de vie », la perception d’une flamme dans les yeux de ceux qui ont su trouver une place et éprouver un sentiment d’utilité au monde. J’ai ressenti la vie à l’écoute des expressions vibrantes de ceux qui m’ont fait le cadeau de me les partager. J’ai aimé travailler et écrire. Ecrire et partager. Partager et projeter. Oser rêver un autre demain. 

Certes l’avenir de certains récits dominants continue à me faire littéralement peur et parfois tanguer dans mes convictions, mais j’ai le sentiment à la fois d’une prise de conscience grandissante de la gravité de la situation à laquelle nous avons collectivement à faire face et d’une montée en puissance sérieuse de récits alternatifs à la « Grande histoire du toujours plus » qui a eu tendance à dominer les esprits et les corps jusqu’ici. 

Autrement dit, au-delà des drames individuels et des réelles menaces qui pèsent sur nos vies, je choisis de croire que nous sommes collectivement prêts à franchir une nouvelle étape vers un nouveau monde plus juste, plus écologique et plus pérenne. Et si cet élan est qualifié d’utopique, bien plus qu’une critique, je le prendrais comme un encouragement. Car, nous l’avons vu (cf. I comme Illusion), nous avons besoin d’histoires qui nous portent au risque de nous assécher, de gâcher la sève de nos espérances les plus enfouies.

En tous les cas, au niveau de notre équipage chez Relayance, nous ressortons de cette période enrichis et combattifs. Avec l’envie renouvelée de contribuer aux processus de résilience individuels et collectifs à l’œuvre. Voir d’en initier ou d’en inventer de nouveaux en redoublant de ruse pour éviter les subtils pièges que cette crise a mis à jour de façon lumineuse à l’échelle de nos vies, de nos familles, de nos organisations et de notre société plus largement : 

  • Le piège mécanique : considérer la crise comme la cause des problèmes alors qu’il s’agit d’abord de l’appréhender comme son révélateur. 
  • Le piège de la désobéissance : choisir d’obéir à des références externes introjectées contraires à sa raison d’être profonde. A cet égard, je recommande chaudement la lecture de l’ouvrage du philosophe Frédéric Gros « Désobéir » qui, de ce point de vue, me paraît édifiante. 
  • Le piège de la quantité de vie : le récent témoignage d’un dirigeant d’EPAD dans le quotidien l’Alsace m’a renforcé dans la vivacité actuelle de ce piège. Privilégier la quantité de vie à la qualité de vie. Ne plus vraiment vivre pour ne surtout pas mourir. Consacrer toutes ses forces à la protection sans en laisser suffisamment pour être encore du côté du vivant. 
  • Le piège de la post vérité : considérer que tout se vaut, que la vérité de fait est un fantasme de l’esprit. Que points de vue et vérité factuelle sont à considérer sur le même plan. Car, comme le rappelle Myriam Revault D’Allonnes dans son ouvrage « La faiblesse du vrai », la fiction n’est possible qu’à condition d’une possible distinction d’avec le réel. Autrement dit, l’échange, le débat présupposent un accord tacite sur ce qu’il est communément acceptable de considérer comme vrai.
  • Le piège de la porosité : abolir les frontières du temps et de l’espace. Refuser le rythme des saisons. Confondre les lieux et ouvrir trop grand les frontières de nos domaines de vie. Négliger les contrats tacites et explicites passés avec soi-même et les autres plutôt que de les actualiser pour continuer à les honorer. 

Ni optimistes, ni pessimistes, nous allons continuer à faire notre travail sérieusement. Nous choisissons de mettre pour cela un point à ce premier chapitre intitulé « chroniques subjectives d’un moment de crise ». Et sommes heureux de vous annoncer d’ores et déjà l’ouverture d’un second où les acteurs et les gens, les âmes et les cœurs, les bras et les yeux seront au centre de cet abécédaire en construction qui, plus que jamais, assumera pleinement sa subjectivité. 

Mais avant de passer à une autre chose, de tourner cette page-là, je tiens à exprimer ma gratitude à tous ceux qui ont contribué consciemment ou non à la réalisation de ce précieux travail que nous ne manquerons pas de convoquer à l’avenir. C’est-à-dire : 

  • tous ceux qui ont donné de leur personne pour contribuer au mieux vivre des autres
  • Gloria, Déborah (fidèles équipières) et Jean (fidèle et actif membre de notre communauté, compagnon de notre route en pensée et en sensibilité) pour leurs contributions actives à cette entreprise commune. Gloria, pour ses relectures attentionnées et précautionneuses. Déborah pour son enthousiasme et son engagement plein et entier autour de la réalisation de ce projet; ses justes et stimulantes confrontations ; ses propositions esthétiques  et sa soif d’échange. Et Jean, tout à la fois pour son sens aigu du récit, sa présence soutenante, ses puissantes contributions poétiques et son attention précieuse au respect de ce qui nous lie. 
  • Mes proches pour leur soutien inconditionnel et leurs influences bienveillantes et ouvrantes. 
  • Charles Rojzman (thérapeute social persévérant), Bernard Hévin (provocateur bienveillant), Pierre Blanc Sahnoun et Dina Scherrer (narrateurs au grand cœur et transmetteur  en France des travaux de David Epston et Michael White), Pierre Yves Brissiaud, Barbara Wellenstein et Irvin Yalom mes enseignants et guides dont les manières d’être et de penser, les bouts de chemin faits à leur côté (en lecture pour Irvin) n’ont pas été sans influence sur mes propres manières de voir et de faire aujourd’hui. 
  • Nos fidèles lecteurs pour leurs précieux retours qui nous disent de manière plus ou moins explicites que ce que nous faisons leur parle. Qui nous parle de ce qui leur parle. De ce qui résonne en eux et de ce qui les touche. Et qui nous renforce en cela dans notre identité de passeur et notre vocation de défricheur. 
  • Enfin, les lecteurs en devenir. Ceux à qui l’on pense parfois en écrivant certains textes. Ceux qui nous font réfléchir. Qui ont l’esprit pour le moment ailleurs. Ceux qui pensent que ce n’est pas pour eux. Bref ceux qui ne savent pas qu’ils ont aussi de l’importance pour nous et à qui nous donnons rdv pour les prochaines étapes. 

Et, enfin, une pensée spéciale pour Michel, fondateur de Relayance en Alsace et fidèle compagnon depuis plus de 15 ans qui, malgré sa récente retraite, suit, non sans un certain plaisir je crois, nos aventures à distance. 

Sébastien Weill

R, comme réhabilitation


Photo by Aliis Sinisalu on Unsplash


R comme réhabilitation. 

Les mots ont une vie. Si certains sont intemporels et à la signification constante ; d’autres apparaissent, lorsque d’autres encore, vulnérables et esseulés, périment abandonnés avant de disparaitre sans que nous ayons vraiment eu le temps de leur dire au revoir. Et puis, il y a ceux qui vivotent, déclinent et se dégradent après avoir gouté plus ou moins longtemps et intensément à une vie de désiré, voire d’adulé. Cette crise est une chance pour certains d’entre eux de se voir réhabilités, anoblis dans l’inconscient collectif. Sans chercher pour autant à les sacraliser ou les vénérer, c’est à eux que ce propos est consacré. 

  • Gentillesse : longtemps moquée, cette vertu revient en force et je m’en réjouis. Souvent associée à la naïveté et à la faiblesse, la gentillesse est implicitement considérée, notamment dans le monde des organisations, comme un handicap pour faire face à la compétitivité et au rapport de force. Ne peut-on du reste pas imaginer compatible le fait d’être gentil et performant, gentil et solide, gentil et mature ? Combien de temps encore faudra-t-il pour arrêter d’avoir peur ou honte d’être trop gentil ? 
  • Paresse : c’est en 1880 que Paul Lafargue écrivit son célèbre ouvrage « Le Droit à la Paresse ». C’est à la fin du siècle dernier, durant mes études en sociologie, que je l’ai lu. Et ces écrits résonnent et refont surface particulièrement aujourd’hui dans mon esprit lorsque certains sur le front, se jettent corps et âme dans la bataille en se privant quasiment pour quelques-uns des plus engagés de leur droit au répit; pendant que d’autres chez eux, culpabilisent plus ou moins de le rester ou de ne travailler seulement que 7 ou 8h par jour. Le travail n’a de valeur à mes yeux que si la paresse est elle-même acceptée, voire honorée. Savoir paresser en toute quiétude est un art à cultiver, un droit à conquérir, une compétence à faire croître. Au risque de rejeter un jour la valeur travail, de la négliger à la hauteur des souffrances qu’elle fait subir à certains d’entre nous. En tous les cas, en ce qui me concerne, rien ni personne ne pourra me priver de mes siestes, de ce moment délectable de laisser aller entre sommeil profond et pleine conscience. 
  • Résistance : face au changement, les résistants sont souvent vus comme des rétrogrades, des ennemis des temps à venir. Des menaces pour les innovations.  Dévalorisés, et fustigés ils auront d’ailleurs tendance, face à tant d’hostilité et à juste titre, à renforcer leur posture. A condition d’entendre ce qu’ils nous disent lorsqu’ils nous disent ce qu’ils nous disent, derrière leur combat se cache bien souvent le signe d’une vitalité. Le signe d’une chose précieuse à préserver. Le signe d’un savoir, d’une pratique, d’une éthique à conserver. Mais attention, la résistance n’a ni statut, ni couleur : elle n’est pas plus l’apanage des syndicats ou des militants que celle de chefs ou de patrons qui peuvent, eux aussi, être pleinement légitimes à incarner le défenseur ultime d’une valeur qui leur tient à cœur.  
  • Secret : la transparence est à la mode. En politique comme en amour, en management comme en amitié. Comme une valeur absolue, une évidence de vertu. Comme si, tout devait être connu de l’autre, des autres. Comme si tabou et secret étaient devenus des grossièretés, des notions obscurantistes dont il était prudent de se méfier. Comme si la règle était devenue de tout montrer, tout faire savoir, tout dire, tout instagrammer, facebooker, réseau socialiser. A en vomir. Car, trompeuse, la transparence quand elle est introjectée comme une norme, une nécessité, est d’abord à mon sens, et aussi paradoxale que cela puisse paraître, la meilleure amie de la fausseté, de la sournoiserie et du mensonge. Aussi, je plaide pour la possibilité du jardin secret ; de la confidence ; du murissement avant le partage ; des frontières relationnelles ; de la possibilité d’une retenue. Comme un gage de confiance, une possibilité de liberté ; une promesse d’authenticité.
  • Division : l’union est recherchée, suscitée, encouragée. Nous y sommes invités plutôt même convoqués. Comme s’il fallait se méfier de tout mouvement ou expression qui pourrait être soupçonné de division. L’union sacrée contre la division maudite.  Mais François Sureau dans son ouvrage « Sans la Liberté » nous le rappelle : une démocratie sans débat, sans opposition, sans conflit n’est plus une démocratie. Alors si l’union fait certes la force, n’oublions surtout pas que pour que celle-ci soit solide et non de surface, elle est invitée à se nourrir des rapports de force, des passions, des colères et des peurs qui semblent nous opposer en surface mais qui, de fait, nous relient en profondeur. A condition de regarder ce qui se joue là plutôt que le jeu en lui-même. 
  • Dérisoire : avant la crise, l’essentiel était parlé dans les milieux d’initiés. Depuis la crise, pas un article, et je reconnais avoir participé à ce mouvement, qui n’oublie de nous inviter à nous recentrer sur ce qui est essentiel pour nous. Alors oui, l’essentiel revient sur le devant de la scène et c’est bienvenu. Mais le dérisoire n’a pas dit son dernier mot. Une vie faite que d’essentiel n’est-elle pas vouée à la fatigue et au trop plein ?  Je plaide pour l’essentialité du dérisoire, du futile. Pour laisser la place aux conversations de rien et aux moments de peu. Pas toute la place mais une juste place. De celle qui nous permet la respiration et l’évasion du réel. De celle qui, en creux, met justement à jour le beau, le juste et l’important. 

La différence qui fait la différence entre ces mots et nous, ce n’est pas la possibilité du changement. Mais le fait que si eux restent toujours dépendants de notre regard, objet de notre désir, nous avons la chance de pouvoir être les auteurs de nos propres récits.  

Sébastien Weill

V, comme valeur


Photo by Joshua Golde on Unsplash


La crise met légitiment à jour et à juste titre l’inégale répartition des richesses et des gloires. L’espoir est grand d’accoucher d’un système plus juste. Plus présentable et plus élégant. D’un modèle plus vertueux avec lequel nous pourrions être à nouveau en amitié. Et j’assume le « nous ». Car, même si je connais des « je » qui défendent le système actuel, voire parfois semblent le chérir, j’ai eu l’occasion de découvrir à maintes reprises que derrière un discours de surface, un premier niveau de verbalisation, se cachent des peurs, un malaise existentiel d’un haut niveau d’intensité. Car quel « je » peut, de manière durable et ancrée, se sentir honorable lorsque son socle identitaire et son rapport aux autres sont influencés bien plus par des questions d’avoir et de prestige social que d’être et d’utilité au monde ? 

Je crois donc, comme beaucoup d’entre nous aujourd’hui, nécessaire et indispensable une remise à niveau de fond à partir notamment d’une valorisation plus grande du principe d’intérêt général. Je crois donc nécessaire et indispensable la mise en mouvement de notre système vers une plus grande valorisation des métiers déconsidérés jusque-là, des métiers bloqués aux marches inférieures de la hiérarchie de valeurs dominante et ô combien utile au bon fonctionnement de notre société. Je sais que cette transformation n’a pas encore eu lieu et que la bataille à livrer sera d’envergure pour que les résultats soient à la mesure de ce besoin de rééquilibrage. En même temps, je crains que les réflexions en cours portent en elles-mêmes deux types d’écueil : 

  • D’abord celui qui consisterait à inverser l’ordre des choses au point de déconsidérer les métiers, hommes et femmes aujourd’hui survalorisés au profit des autres. De créer implicitement et sans que nous n’y prenions garde un système de mépris inversé. De ce point de vue, s’il me paraît juste par exemple de valoriser le métier d’aide-soignante en tant que tel, attention aux généralisations outrancières qui consisteraient à valoriser toutes les personnes qui exercent cette profession quelle que soit la manière de l’exercer et la motivation profonde qui la sous-tend. A l’inverse, le métier de communicant ou d’ingénieur du son, d’artiste pour ne prendre que ces trois exemples ne sont pas moins nobles à mes yeux que celui de médecin ou d’éboueur s’ils sont investis avec dignité et amour. 
  • Puis, celui qui consisterait à n’attacher de la valeur qu’à une nouvelle référence externe, une nouvelle norme sociale. En omettant la valeur de la « juste place », celle qui me donne la chair de poule quand je constate que l’homme ou la femme qui est en face de moi, quel que soit son rôle ou son statut, est sur son chemin et en accord avec sa raison d’être. Lorsqu’elle se sent « enfin bien », au bon endroit, alignant harmonieusement ses paroles avec ses gestes et ses ressentis. A cet égard, et même si je n’ai pas la passion des voitures, le témoignage d’un garagiste épanoui constituera à mes yeux une source d’inspiration, une possibilité de modélisation positive bien plus puissante que celui d’une infirmière aigrie. 

La société dans sa fonction régulatrice est invitée à proposer des points de repère, des boussoles plus ajustées aux enjeux de transformation du monde vers plus de justice et d’égalité. Mais cela, comme nous le rappelle Irvin Yalom lorsqu’il considère qu’il vaut mieux avoir un problème de réputation qu’un problème de conscience, ne devra pas se faire en négligeant par ailleurs l’importance de l’homme dans son rendez-vous avec lui-même. Car lui seul sait, dans son intime rapport à lui-même, ce qui motive ce qu’il fait et ce qu’il pense. Pourquoi il agit de la sorte. Et au-delà du contenu d’une tâche, rappelons-nous la valeur du processus, la noblesse de la relation entre la personne et son métier, son art ou tout simplement son acte. Et cela, quoiqu’en pensent la société, le « on » ou les autres. 

Au nom de quel principe indexer une prestation à une valeur ? Une profession à un statut ?  Une action à une reconnaissance ? 

La rareté ? L’utilité ? La pénibilité ? L’exposition au risque ? Le niveau de savoir-faire requis ? Le résultat ? 

Pourquoi tant de factuelles et injustifiables inégalités, de subjectivités vrillées dans la manière de considérer, de rémunérer, de féliciter, de valoriser, de s’indifférer, de banaliser ? Voir de négliger et mépriser ? 

Sébastien Weill

C, comme curieux


Photo by Melchior Damu on Unsplash


Déboussolés, nous le sommes tous plus ou moins. Et, dans ces moments-là, la tentation est grande de se laisser aller à nos réflexes les plus archaïques. Parmi les plus répandus et puissants d’entre eux, le réflexe manichéen qui nous amène, sans que nous y prenions garde, à regarder le monde de façon binaire. D’un côté les civilisés, les responsables, les forts et les utiles ; de l’autre les sauvages, les inconséquents, les faibles et les inutiles.

Pourtant, critiquables et perfectibles, nous le sommes tous plus ou moins. Ambivalents aussi.  Et rien ne nous empêche de croire que chacun fait de son mieux à partir des ressources qui s’offrent à lui. 

Il y aura des comptes à rendre et des enseignements à tirer de la situation actuelle. Comme il faut rendre justice quand les actes sont violents. C’est certain. Mais une personne quelle qu’elle soit et quelle que soit sa place ne peut se réduire à ses actes. Et si des actes sont invités à être sanctionnés -positivement ou négativement- il me parait essentiel de se méfier de tout jugement hâtif de l’homme ou la femme qui se cache derrière. Parce que nous sommes condamnés à vivre ensemble, nous sommes invités à nous accepter inconditionnellement pour ce que nous sommes. Et non pour ce que nous faisons. 

Dès lors, avant de condamner, avant même d’avoir cherché à comprendre, prenons le temps de nous mettre à la place de l’autre. De nous imaginer son monde, sa réalité. De devoir prendre la décision qu’il a à prendre et de faire les choix qu’il a à faire en considérant l’ensemble des paramètres de la situation. En se rappelant d’où il vient et ce qu’il vit. En ressentant ce qu’il ressent. En adoptant son costume. En marchant dans ses pas. Et en habitant son temps.  Faisons cet exercice aussi bien pour le ministre en difficulté que pour le jeune récidiviste. Amusons-nous à changer de visions du monde. 

Qu’aurions-nous fait à sa place, avec son histoire, ses contraintes, ses enjeux et les ressources qui sont à sa disposition ? Sommes-nous vraiment sûrs que nous penserions différemment que lui ? Que nous ferions mieux que lui ? 

Cultivons l’empathie, je nous y invite. Et plutôt que d’honorer les uns et de bannir les autres, prenons goût aux pas de côté, aux changements de regards tout en se rappelant que comprendre ne veut pas dire cautionner. Car oui, nous sommes libres de critiquer, de confronter, de nous mettre en colère. Mais juger et mépriser engendre des murs et de la haine là où il paraitrait plus utile de construire des passerelles et de tisser les fils de nos liens à venir. 

Plus que jamais nous avons besoin les uns des autres. Aussi, je plaide pour la curiosité. De celle qui nous demande d’ouvrir grand nos cœurs et nos yeux. Une compréhension comme une voie, un chemin qui nous emmène vers une fascination nouvelle des êtres pour leur propre vie. Non une compréhension fleur bleue qui se confondrait avec la complaisance ou l’indulgence. Mais une compréhension transformatrice, profonde, une compréhension de combat pour faire vivre la fraternité et ne pas seulement la lire sur le fronton de nos mairies. Ou la convoquer de temps à autre comme une vieille amie que nous culpabilisons de ne que trop rarement appeler. 

Au moins dans un premier élan. Au moins pour essayer.

Sébastien Weill

I, comme illusion


Photo by TK Hammonds on Unsplash


L’illusion de l’enfant quant à sa toute puissance et à son immortalité constitue un puissant moteur de croissance. Conscient de sa finitude et de la limitation de ses pouvoirs pour transformer le monde qui l’entoure, l’enfant aurait-il en effet autant envie de grandir et soif d’apprendre ? Il a besoin de rêver, de se raconter des histoires, de s’identifier à des fées et des superhéros. De penser l’infini et de chérir l’imaginaire. De se vivre protégé et de se projeter conquérant ou conquérante, princes ou princesses, justiciers ou justicières. Parfois grand sage. Le territoire de l’enfant, c’est aussi celui des sensations et des émotions.  Des histoires qui font rire et de celles qui font peur. De celles qui donnent la chair de poule ou la larme à l’œil. 

J’ai longtemps entretenu un lien ténu avec la fameuse histoire qui raconte que le monde de l’adulte est d’abord celui de la rationalité, du pensé, du réfléchi. A celle qui raconte que l’on sort de l’enfance, lorsque l’on devient lucide, clairvoyant. Lorsque l’on parvient à faire la part des choses, à gérer ses émotions et à objectiver les situations. A reconnaître ses limites, ses faiblesses et s’accepter tel que l’on est. Je l’ai longtemps cru. 

La crise actuelle nous le rappelle. La rationalité de chacun d’entre nous est limitée. Chacun voit midi à sa porte et lit le monde à travers sa trajectoire, sa place, ses valeurs, ses affects, ses intérêts et ses désirs. Nous sommes des architectes de notre propre réalité et nous nous comportons non pas en fonction du réel mais en fonction de la représentation que nous nous en sommes forgés. Le réel en tant que tel ne nous est pas accessible. L’illusion consiste donc à considérer que l’histoire que l’on se raconte est la vraie. Bien plus que de se raconter des histoires en tant que tel. Car l’adulte comme l’enfant ont besoin de s’en raconter. Pas de vie sans histoire. C’est à choisir la nature des histoires que l’on se raconte que nous sommes en réalité invités. Choisir une histoire de problèmes, de plaintes, de résignations ou d’impuissance. De toute puissance aussi. Et se vivre à travers elles. Ou des histoires alternatives qui relient les fines traces d’autres récits. De héros. De ressources. D’expériences et d’enseignements. De puissance d’action. 

La crise actuelle nous le rappelle. Nous sommes mortels et vulnérables. Bien des choses nous dépassent et l’illusion est de nous penser habituellement en sécurité. La crise est en cela salvatrice car, en nous aidant à nous désillusionner, elle nous invite à changer de récit. A en construire de nouveaux. A changer d’illusion. 

En cela j’ai envie de plaider pour que ces nouvelles histoires réhabilitent la valeur de gentillesse et d’indulgence. Se rappellent l’intention positive qui se cache derrière chaque comportement. Qu’elles élargissent nos visions plutôt que de les rétrécir. Considèrent les théories complotistes comme de bons ingrédients pour des scénarios de film de série B. Réenchantent la complexité et anoblissent ceux qui reconnaissent ne pas savoir. Valorisent le chemin autant que le résultat. Ne considèrent pas les puissants forcément mauvais. Et surtout, pas forcément plus puissants que tous les autres. Voient des forces de vie et des pulsions de mort en chacun d’entre nous. Postulent enfin, comme nous y invite Nancy Huston dans son essai, L’Espèce Fabulatrice, que « la conscience de la mort et du temps, que seul possède l’humain, génère une angoisse immense. Et que pour la conjurer l’homme interprète, crée, invente, se raconte et raconte des « fictions » pour donner un sens à la vie sans lequel l’existence serait insupportable ». 

En somme, la différence entre l’adulte et l’enfant, c’est que l’adulte devient adulte lorsqu’il laisse de la place à l’enfant qui est en lui. Et qu’il prend conscience que les histoires qu’il se raconte, belles ou moins belles, ne restent que des histoires. 

Sébastien Weill 

T, comme traversée


Photo by Lisa van Dijk on Unsplash


Le Corona est là et nos vies – professionnelles, familiales, amoureuses, sociales – basculent. Parfois radicalement. Il y aura un avant et un après. Un après inconnu mais le pire est loin d’être certain. Confusion des sentiments. Comme tout le monde. Envie d’agir, besoin de réfléchir. Suis-je prêt à cette nouvelle traversée ?  A vivre mes peurs, mes colères et mes tristesses ? Sans oublier de dire bonjour à mes joies ? Rester debout. Traverser. Et, à ma mesure, être présent pour ceux qui vont en avoir besoin. 

Pourquoi nouvelle traversée ? 

Les faits décrits ci-dessous se déroulent entre mars 2018 et Décembre 2019. Avant que cette crise collective ne voie le jour, je venais d’en traverser une de nature plus personnelle sur laquelle j’ai ressenti le besoin d’écrire. Je m’apprêtais à faire quelque chose de cet écrit et puis le coronavirus est arrivé. Sans prévenir. 

Pourquoi partager ? 

Tout simplement pour mieux écouter ce qui nous arrive. Sans présager de ce qui va nous arriver. Témoigner. Sans autre prétention. Et surtout pas celle de l’universalité de mon expérience. Voici donc le témoignage d’une crise vécue de l’intérieur. Comme une invitation à traverser toutes celles qui s’offrent ou s’imposent à nous. Même celles qui nous paraissent les plus terribles. Même et surtout les plus terribles. Pour ceux dont le cœur bat encore.   

« Tensions dans le bras gauche. Sensations de brûlure au niveau de la poitrine. Impression d’étouffement et de thorax qui se contracte. Crispation au niveau du visage, comme un début de paralysie. Fourmillements dans la main. Ca va mieux. Relâchement. Et ça recommence. Parfois de plus belle. Douche froide. Succession de soulagements et de déceptions. Quand cela va-t-il s’arrêter ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi comme cela ? 

Je rends visite à des médecins et fais des examens. Plein de médecins et plein d’examens. Recherche d’un sauveur. J’éprouve le besoin de me raccrocher à une explication physiologique qui me permet de rester débout. Durant un temps, je fais de la maladie de Lyme un compagnon de route. Un fil rouge pour élaborer un récit. Une façon de me rassurer sur ma propre image et celle que je peux renvoyer à mon entourage. Je prends des médicaments.

Je fais des malaises. J’ai le sentiment que tout va se dérober sous mes jambes. Je prends conscience de ma fragilité et perds le contact avec mes ressources, avec ces récits qui d’habitude m’aident à tenir. A certains moments, la crise m’envahit, me pénètre de l’intérieur sans que je ne puisse m’en défaire. Esprit obstrué. J’erre, j’ai le sentiment de me perdre. Parfois, moi qui me suis si souvent référé à la puissance de la modération prônée par Pierre Rabhi, je me dis que seule une issue radicale pourra mettre fin à ce cauchemar. Je craque et commence à me faire peur.  

Puis, je réalise petit à petit. Je fais des liens que je n’avais pas établi jusqu’ici. Je mets en conscience des phénomènes que j’avais, dans mon esprit structuré, eu tendance à séparer, regarder et appréhender de manière dissociée. Je pense et ressens. J’arrête ma recherche effrénée de causes médicales qui a eu comme effet collatéral d’augmenter mon sentiment d’impuissance. Je pense systémique, complexe, multi-causale, symbolique. Et je crois avoir à ce moment-là commencé à comprendre, à éprouver, à mettre en lumière l’origine du trouble, de la souffrance, de ma souffrance. 

Départ de Rosalie, mon ainée, de la maison. Départ de Michel, mon associé et fondateur de l’entreprise dont je suis devenu le propriétaire. 27 ans de vie commune avec Stéphanie. 45 ans, mi-temps de la vie. Dérèglement climatique. Inégalité grandissante et montée des populismes en tous genres. 

Changements de cycles. Deuils et pertes. Peurs, colères et tristesses. Qu’est-ce que je veux pour la suite ? Comment garder espoir ? Quelle flamme faire vivre ? 

Continuer le chemin et faire le lien entre ce qui m’arrive et mon histoire familiale. La concordance temporelle de ma crise avec celle de mon père. Et l’histoire de chute que je me suis racontée et qui avait eu tendance à me hanter jusqu’ici. Puis, me rappeler d’où je venais. Ce que mes grands-parents ont traversé, ce que les parents de mes grands-parents ont traversé. Et me reconnecter avec la partie juive de mon identité. Lui faire de la place. La chérir en guise d’hommage à mon histoire, mes racines et les combats pour la vie et la dignité de ceux qui m’ont précédé. Me rappeler que peu avant le début de l’arrivée de mes premiers symptômes, j’étais à Auschwitz avec Rosalie. Remettre mon médaillon. 

Repenser aux frères Cohen aussi. Et au film « a Simple Man ». Reconnaitre que j’ai investi ma première partie de ma vie comme un mensch. Un mec bien qui fait les choses bien comme il faut. Et me dire que j’aime le mensch qui est en moi mais que je ne souhaite pas me réduire à cette dimension identitaire. Oui, je revendique d’être un mensch ! Mais un mensch libre, un mensch qui pense plutôt qu’un mensch qui compense, un mensch qui aide plutôt qu’un mensch qui sauve, un mensch d’un nouveau genre qui sait qu’il a sa place sans avoir à prouver qu’il est sympa, qui sait que son point de vue a de la valeur qui sait qu’il a le droit d’exister et qu’il est digne d’amour. Même s’il est différent. Parce qu’il est singulier. Une histoire de place à prendre, à revendiquer, à affirmer. 

Le passage de la résistance à l’acceptation, celui de l’impatience d’un avenir meilleur au fait de gouter à nouveau à un présent aux multiples facettesCelui de la reliance entre hier, aujourd’hui et demain. Se laisser émerveiller. Partager avec ceux que j’aime et écouter. Courir et écrire. Manger et dormir. Lire. Ne jamais perdre de vue ce qui est important pour moi. Me lever le matin et me coucher le soir. Demander de l’aide. Me soigner. Accueillir ce qui fait du bien. Ma persévérance et ma capacité d’analyse. Mon souci de l’autre. Mon sens des responsabilités. Prendre ce qu’il y a à prendre et laisser le reste de ce qui m’est renvoyé. Accueillir l’ambivalence. Enfin, se rappeler l’homme qui est arrivé jusqu’à cette étape, se vivre comme un homme en chemin, et se projeter comme un résilient… » 

Sébastien Weill

P, comme ponctuation


Photo by Art Lasovsky on Unsplash


Un changement, quel qu’il soit, s’inscrit dans un cycle, une dynamique. Cela est vrai à l’échelle individuelle, à l’échelle d’un groupe, comme à l’échelle d’une société. Accompagner le changement consiste déjà à qualifier la nature de ce changement, l’inscrire dans un récit qui fasse sens. Continuité ? transformation ? rupture ? 

De ce point de vue, la métaphore de la ponctuation offre une palette de possibles. Parenthèse ? Point ? Virgule ? Point-virgule ? Point d’exclamation ? Point d’interrogation ? Ou points de suspension ? 

La parenthèse sera choisie par les conservateurs ; ceux qui voudraient que tout redevienne comme avant. Qui s’imaginent la crise, bien plus comme un incident que comme un symptôme d’un mal plus profond. Ceux qui se centrent sur l’écume des choses et peuvent omettre parfois  de se connecter avec le sens. Et la vie reprendra son cours considèrent-ils.  Y croient-ils vraiment ? Ou ne sont-ils tout simplement pas prêts à voir les choses autrement ? 

Le point sera l’option des collapsologues. Pour les plus pessimistes d’entre eux. Cette crise est pour eux le début de la fin. Ils se délectent d’avoir eu raison. L’effondrement est en cours et rien n’est à espérer ensuite. Un point c’est tout. 

La virgule est la ponctuation des poètes. Celle qui permet la respiration et qui invite à la réflexion. Ni dramatisation, ni minimisation. Une invitation à la création. L’art est une façon de transformer le malheur du monde. Une façon de dire des sentiments cachés. Et la virgule devient alors une arme. La prose un combat. 

Les systémiciens, les amoureux de la complexité, préféreront eux le point-virgule. Ni une fin, ni un début. Une transformation. Une interruption de pattern. De celles qui changent sans changer. Ceux pour qui le chemin est au moins aussi important que la destination. Ceux qui se méfient du binaire, du compliqué et des évidences aussi.  Ceux qui se font amis avec le signifié, le sous-jacent, le symbolique et le paradoxe. Ceux, enfin, qui savent que croissance des activités vertueuses et décroissance du reste peuvent cohabiter. Doivent cohabiter. 

Le point d’exclamation sera celui des collapsologues. Pour les plus optimistes d’entre eux cette fois. Attention, dernier avertissement ! Il est encore temps mais sachons tirer les leçons radicales et profondes de cette crise de la modernité. 

Le point d’interrogation sera l’allié des humbles. Ceux qui aiment l’art de la question. Et qui acceptent la part de mystère qui réside en toute chose complexe. Ceux qui ont fait le deuil de leur illusion de toute puissance. Qui se laissent guider par le courant de la vie. Qui chérissent le présent et savent que passé et futur ne sont que des vues de l’esprit. 

Les points de suspension seront choisis par les généreux. Ceux qui acceptent de partager leur récit, leur histoire. Qui sont prêts à la construire avec d’autres. A coopérer. A imaginer que d’autres savent ce qu’eux ne savent pas encore. Qui aiment se laisser porter par des imaginaires étrangers aux leurs. Qui se rappellent que le suspens est une façon de générer de l’adhésion, de la mobilisation. De la tension aussi. 

Quelque soit la ponctuation de cette séquence inédite, l’avenir reste à écrire. Et le présent reste à vivre.

Sébastien Weill 

L, comme libres


Photo by Mat Reding on Unsplash


Confinés et libres. 

Confinés et contraints de rester chez nous. Dans des intérieurs plus ou moins confortables, plus ou moins accueillants, plus ou moins grands. Mise au grand jour de nos inégalités. Des privilèges de certains.  Des privations des autres. De l’arbitraire de nos vies. 

Confinés et parfois malades. Entre la vie et la mort. Parfois déjà morts. 

Nous sommes confinés, certes. Et pourtant. Comme une occasion inouïe de reprendre conscience de notre liberté existentielle. Du fait que les chaines invisibles qui influent sur nos vies quotidiennes et routinières et auxquelles nous nous soumettons inconsciemment sont bien plus contraignantes qu’un mois de confinement. Et qu’elles peuvent se défaire. Pourquoi pas maintenant ? 

Libres de renier ses valeurs, de les faire vivre. Pourquoi pas de les honorer. De préférer la dignité à la grossièreté.

Libres de faire la pause que j’attendais depuis si longtemps. De respirer. De me sentir coupable. Ou bien au contraire, de savourer ce moment si précieux. De s’en délecter. 

Libres de penser. De réfléchir et d’écrire. S’écrire à soi-même. Et en même temps à ceux que l’on aime. A ceux que l’on ne connait pas encore. 

Libres d’éprouver. De goûter, sentir, voir, entendre et toucher. De pleurer. D’être triste. De rire ou d’en rire. D’avoir peur et d’aimer. 

Libres d’être en lien. De partager. De renforcer ces liens. D’en construire de nouveaux ?  De pardonner aussi. 

Libres de changer de regard. D’imaginer du vert là où l’on voit du bleu. De mélanger les couleurs. De mettre de la nuance. D’accepter le noir. De se méfier du blanc. Choisir des pastels, des crayons ou des feutres.  

Libres d’honorer nos héritages. De les transformer ou de les renier. Quoi qu’il en soit d’en faire ce qu’il nous semble bon d’en faire. 

Libres de projeter, de rêver. D’imaginer un après différent. Une vie nouvelle.  Pourquoi pas plus belle encore ? 

Libres de renoncer ou de se battre. De renoncer et de se battre. 

Et puis, il y a l’espoir… 

Sébastien Weill

D, comme déconstruction


Photo by Lujia Zhang on Unsplash


Déconstruire, c’est dire au revoir aux évidences. Apprendre à s’en passer, à vivre sans. 

Déconstruire, c’est comme une invitation à partir d’un écran blanc au moment d’amorcer une expérience, d’engager une rencontre, d’aborder une réflexion. 

Déconstruire, c’est oser questionner et mettre au travail ce qui se présente comme la Vérité.  

Déconstruire, c’est considérer le normatif comme un ennemi et la résistance comme un allié, le dominant comme une menace et le minoritaire comme un espoir. 

Déconstruire, c’est aller à la rencontre de l’autre, de sa vision du monde en s’étant préparé à modifier, transformer, sa propre représentation de ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, acceptable ou interdit, beau ou laid. 

Déconstruire, c’est ne rien accepter comme acquis, définitif, fermé. C’est offrir une virgule au point, une nuance à la radicalité, un doute à la certitude, un making-off au produit fini. 

Déconstruire, c’est se dire enfin que tout ce qui se passe est à la fois profondément triste, inquiétant et menaçant. Sans négliger l’enthousiasme à découvrir et éprouver bientôt le monde nouveau en train de naître.  

Comme tu le faisais lorsque tu étais enfant avant de t’endormir…

Sébastien Weill