E, comme espoir


Photo by Wes Hicks on Unsplash


Nous aurons partagé

La mémoire et l’espoir,

La lumière des mots,

Le temps visible et ses viviers

De voix, de lampes, d’épis noirs,

Nous aurons parcouru

D’immobiles saisons, creusé

Sans relâche la même route

Vers le même secret perdu,

Et nous n’aurons d’autres recours

Que de croire encore à la vie,

Pas après pas, jour après jour,

A la vie qui brûle sans flamme

Mais se survit vaille que vaille

Pour attiser dans notre nuit

La braise d’un miracle.

Pierre Gabriel. « L’Amour même »

L, comme Lettre à mon fils


Photo by Anne Nygård on Unsplash


« Nogent-sur-Marne, le 12 avril 2020

Mon cher petit garçon, 

T’écrire ces quatre mots me bouleverse. Ils rendent si réel l’homme que tu es, en cet aujourd’hui qui est le tien, quand, dans celui qui est le mien, tu n’es encore qu’un enfant. 

Cette lettre je l’adresse donc à l’homme que tu n’es pas encore pour moi, mais que tu es devenu puisque te voilà en train de la lire. Tu l’auras trouvée sans doute par hasard sur cette clé où je consigne en secret les trésors de ton enfance. J’ignore l’âge que tu as, j’ignore ce qu’est devenu le monde, j’ignore même si ces clefs fonctionnent encore mais j’ai espoir que, la découvrant, tu trouveras un moyen de l’ouvrir. 

Et par la magie de l’écriture, voici que cette lettre devient la fine paroi qui nous relie, et entre l’aujourd’hui où je t’écris – où tu commences à déchiffrer les phrases, où tu as peur dans le noir, où tu crois à la magie – et celui où tu me lis, chaque mot de ma lettre a gardé sa présence ; si à l’instant j’écris je t’aime, voilà qu’à ton tour, des années plus tard, tu lis je t’aime. Et que t’écrire d’autre que je t’aime, alors que nous vivons ce que nous vivons en ce confinement dont tu n’as peut-être plus qu’un vague souvenir ? Quoi dire de plus urgent que l’amour ? 

En ces journées étranges où rode une mort invisible et où le monde va vers son ravin, un ravin qui semble être l’héritage laissés aux gens de ta génération, un père, plus que de raison, s’inquiète pour son fils. Je te regarde. Tu dessines un escargot. Tu lèves la tête et tu me souris. « Qu’est-ce qu’il y a papa ? » Rien mon garçon. 

Je ne sauverai pas le monde. Mais j’ai beau ne pas le sauver, je peux du moins te désapprendre la peur. T’aider à ne pas hésiter le jour où il te faudra choisir entre avoir du courage ou avoir une machine à laver. T’apprendre surtout pourquoi il ne faudra jamais prononcer les mots de Cain et, toujours, rester le gardien de ton frère. Quitte à tout perdre. J’ignore d’où tu me lis, ni de quel temps, temps de paix ou temps de guerre, temps des humains ou temps des machines, j’espère simplement que ton présent est meilleur que le mien. Nous nous enterrons vivants en nous privant des gestes de l’ivresse : embrassades, accolades, partage et nul ne peut sécher les larmes d’un ami. 

Mais si ton temps est pire que celui de ton enfance, si, en ce moment où tu me lis, tu es dans la crainte à ton tour, je voudrais par cette lettre te donner un peu de ce courage dont parfois j’ai manqué et, repensant à ce que nous nous sommes si souvent racontés, tu te souviennes que c’est la bonté qui est la normalité du monde car la bonté est courageuse, la bonté est généreuse et jamais elle ne consent à être comme une embusquée, qui, à l’arrière vit grâce aux sang des autres. Nul ne peut expliquer la grandeur de ceux qui font la richesse du monde. Donne du courage autour de toi et n’accepte jamais ce qui te révulse. 

Quant à moi : je t’aime. Ton père t’aime. Sache cela et n’en doute jamais. 

Ton père ».

Wajdi Mouawad

P, comme petit chiot


Photo by Caleb Fisher on Unsplash


L’histoire du Petit Chiot restituée ici par Tom Carlson a déjà fait un long chemin. Elle est passée de la bouche de David Epston à celle de Jill Freedman avant d’arriver dans celle de Tom. C’est dans le cadre d’une formation aux approches narratives suivie au sein de la Fabrique Narrative que je l’ai, pour ma part, entendue pour la première fois. Et c’est en travaillant avec mes collègues sur ce blog que m’est venue l’idée de m’en faire également le passeur.

Toutes les personnes évoquées ci-dessus sont des praticiens narratifs et David Epston, Néozélandais, est l’inventeur avec Mickael White, australien mort en 2008, de cette approche qu’ils ont tous deux élaborée il y a plus d’une trentaine d’années en travaillant auprès de personnes issues des communautés aborigènes aux identités particulièrement abîmées.  

Cette approche postule que les histoires que nous racontons sur notre vie peuvent soit nous limiter, nous enfermer, soit nous libérer, et qu’il existe toujours une multiplicité de significations possibles pour rendre compte d’un évènement, d’une situation. 

Si vous souhaitez en savoir plus sur les approches narratives, n’hésitez pas à consulter le site et le blog de la Fabrique Narrative https://www.lafabriquenarrative.org/

Sébastien Weill


Il y a quelques années David Epston a raconté cette histoire alors qu’il animait un atelier dans notre centre et cette histoire m’a vraiment marqué, c’est une histoire que je raconte souvent et à laquelle je pense souvent.

Au moment où David en parlait, il travaillait énormément avec de jeunes gens qui avaient des problèmes médicaux.

Il a eu ce coup de fil d’une mère qui disait « Mon fils est hospitalisé et vous m’avez été recommandé. » Je ne me souviens plus quel était le problème médical de l’enfant, mais ce problème avait entre autres pour conséquence de l’empêcher de garder ce qu’il avalait. La prise de nourriture provoquait des vomissements immédiats.

Au moment où la mère a contacté David, le problème était résolu médicalement. Mais comme vous pouvez l’imaginer, le gamin ne mangeait plus. Même si médicalement il était ok, et bien qu’il n’y ait plus de raison physiologique à cela, à chaque fois qu’il mangeait, il vomissait. Du coup, il refusait de manger.

Le fait de ne pas manger mettait la santé du petit garçon en danger, donc on le gardait à l’hôpital. On s’inquiétait. Donc la maman demanda à David s’il pouvait venir parler à son fils.

David accepta. Il vint à l’hôpital. Très rapidement après avoir fait connaissance, il apprit que le petit garçon avait un petit chiot récemment arrivé qui l’attendait à la maison, on le lui avait offert peu de temps avant son hospitalisation.

Lorque David appris cela, il demanda, « Tu crois aux coups de foudre, toi ? » En voyant le gamin intrigué, il commença à poser une série de questions comme : « Est-ce que tu es tombé amoureux de ton petit chiot dès que tu l’as vu ? Qu’estce qui dans ce petit chiot t’a fait tomber amoureux ? »

« Penses-tu que ton petit chiot est tombé amoureux de toi au premier regard ? Qu’est-ce qui, à ton sujet, a permis qu’il tombe amoureux de toi ? »

« Tu crois qu’il t’attend pendant que tu es ici ? Estce que c’est une attente différente de celle qu’il subit lorsqu’il attend ton retour de l’école à la maison tous les jours ? Penses-tu qu’il se soit installé à un endroit en particulier pour t’attendre ? »

« Quels genres d’aventures penses-tu que vous allez partager ensemble ? Est-ce que vous aurez des endroits préférés ou est-ce que vous irez à la découverte de nouveaux endroits où aller ensemble ? »

David continua à intéresser le petit garçon avec ce type de questions.

Après une heure il dit, « C’était un plaisir de parler avec toi. Ça m’a vraiment plu. »

Et il s’apprêta à partir.

La mère le suivit jusqu’au hall de l’hôpital, et lui cria, « Attendez donc, là ! Vous n’avez rien fait ! Vous ne lui avez même pas parlé du problème. »

David répondit, « J’ai fait ce que j’ai pensé être le plus utile. » La mère était manifestement en colère envers lui.

Cependant David rentra chez lui et reçut un appel de sa part deux jours plus tard. Elle dit, « Je ne comprends pas. Le repas suivant, mon fils a mangé et a réussi à garder son repas. Il est sorti de l’hôpital. Il va bien. Qu’avez-vous fait ? »

Du coup David a raconté cette histoire dans notre centre. Puis suivit un long silence dans la pièce. Puis finalement quelqu’un demanda, « Qu’auriez-vous fait s’il n’y avait pas eu de chiot ? »

C’est alors que j’entendis des mots que je n’oublierai jamais…

David sourit et dit, « on peut toujours trouver un petit chiot. »

Ce fut comme si ces mots avaient sauté directement dans mon cœur. Ils y ont trouvé leur foyer depuis. Croire qu’« on peut toujours trouver un petit chiot », croire qu’il y a toujours de l’espoir même -et pas seulement- dans les moments les plus sombres, a littéralement sauvé la vie de beaucoup de personnes avec qui j’ai travaillé au fil des ans.


R, comme rien


Photo by Daniel Jensen on Unsplash


Aujourd’hui, je n’ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Des oiseaux qui n’existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leurs corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.
Ne rien faire
sauve parfois l’équilibre du monde
en obtenant que quelque chose aussi pèse
sur le plateau vide de la balance.

– Roberto Juarroz

Treizième poésie verticale
Traduit de l’Argentin par Roger Munier
Librairie José Croti / 1993

W, comme Wilhelm Reich


« Tu te distingues par un seul trait des hommes réellement grands : le grand homme a été comme toi un petit homme, mais il a développé une qualité importante : il a appris à voir où se situait la faiblesse de sa pensée et de ses actions. Dans l’accomplissement d’une grande tâche, il a appris à se rendre compte de la menace que sa petitesse et sa mesquinerie faisaient peser sur lui. 

Le grand homme sait quand et en quoi il est un petit homme. Le petit homme ignore qu’il est petit et il a peur d’en prendre conscience. Il dissimule sa petitesse et son étroitesse d’esprit derrière des rêves de force et de grandeur, derrière la force et la grandeur d’autres hommes. Il est fier des grands chefs de guerre, mais il n’est pas fier de lui. Il admire la pensée qu’il n’a pas conçue, au lieu d’admirer celle qu’il a conçue. Il croit d’autant plus aux choses qu’il ne les comprend pas, et il ne croit pas à la justesse des idées dont il saisit facilement le sens ». 

Extrait de « Écoute, Petit Homme ! » de Wilhlem Reich, 1948 

Wilhelm Reich est un médecin, psychiatre et psychanalyste. Il est né le 24 mars 1897 à Dobrzcynica (alors en Autriche-Hongrie, aujourd’hui en Ukraine) et est mort en prison le 3 novembre 1957 (à l’âge de 60 ans) à Lewisburg, Pennsylvanie, États-Unis. 

C, comme contributions


Photo by chayenne tessari zanol on Unsplash


Nous partageons ici différents témoignages de nos clients, partenaires, amis, suite à la parution de notre blog.


« M, comme merci.
Merci pour cette initiative de créer du lien dans une période ou l’actualité nous impose de nous isoler.

Merci de ne pas nous considérer comme simples « clients » mais comme des personnes faisant partie intégrante de la vie de Relayance. Parce que nous avons vécu une aventure ensemble, nous entrons dans cette belle famille.

Merci de considérer nos parcours exprimés parfois avec douleur, comme des sources d’inspiration dans la construction de nos pensées individuelles et collectives.

Au travers des textes déjà écrits dans l’Abcdaire, Merci de nous autoriser à ne pas culpabiliser de ne rien faire. A accueillir ce confinement comme une possibilité et pas une contrainte. A accepter positivement ce bouleversement dans nos certitudes et dans notre mode de pensée.

Merci enfin de nous offrir une pensée, une réflexion, un avis, un débat … rythmé par un alphabet qui s’égrainera au fil de cette période, comme un compte à rebours vers une liberté retrouvée … »

Christophe


« (…) j’aime votre initiative.
J’ai choisi un poème de Paul Eluard pour alimenter la chaine d’amour et d’encouragement dont nous nous soutenons.
Merci.
Tenez la lampe allumée
.

La nuit n’est jamais complète. 
Il y a toujours puisque je le dis, 
Puisque je l’affirme, 
Au bout du chagrin, 
une fenêtre ouverte, 
une fenêtre éclairée. 
Il y a toujours un rêve qui veille, 
désir à combler, 
faim à satisfaire, 
un cœur généreux, 
une main tendue, 
une main ouverte, 
des yeux attentifs, 
une vie : la vie à se partager.
Paul Éluard. »

Michel


« A comme Abondance,

Les jours de confinement internationaux passent et une question me taraude : qu’est-ce-qui me manque ?


Mes proches ? Je peux les contacter, je prends des nouvelles, je parle plus souvent que d’habitude à tous ceux qui m’entourent de près ou de loin …


De la nourriture ? Je peux trouver toutes les nourritures dont j’ai vraiment besoin ; manger et prendre soin de mon corps ; lire et prendre soin de mes pensées ; écouter de la musique et prendre soin de ma créativité …


Du temps ? Étrangement, les jours filent toujours autant … je fais beaucoup de choses au quotidien que je ne faisais pas avant … je prends le temps de nourrir des liens, de nourrir mes envies, de calme, de nature, de paix intérieure, … 


Et si finalement tout cela venait à me manquer après ??? Non, je peux choisir d’avoir ce qui est important pour moi.


Oui, je décide de m’offrir l’abondance et de savourer chaque moment présent avec simplicité et humilité. »

Rébecca


Le comité de rédaction a accueilli très positivement ces retours !
N’hésitez pas, toutes vos contributions sont les bienvenues, en commentaire ou en cliquant sur le formulaire contact.

E, comme écoute


Photo by Hayes Potter on Unsplash


« Écouter, c’est le plus beau cadeau que nous puissions faire à quelqu’un … C’est lui dire, non pas avec des mots, mais avec ses yeux, son visage, son sourire et tout son corps : tu es important pour moi, tu es intéressant, je suis heureux que tu sois là … Pas étonnant si la meilleure façon pour une personne de se révéler à elle-même, c’est d’être écoutée par une autre ! 

Écouter, c’est commencer par se taire … Avez-vous remarqué comment les « dialogues » sont remplis d’expressions du genre : « C’est comme moi quand … » ou bien « ça me rappelle ce qui m’est arrivé… » Bien souvent ce que l’autre dit n’est qu’une occasion de parler de soi. Écouter, c’est commencer par arrêter son petit cinéma intérieur, son monologue portatif, pour se laisser transformer par l’autre. C’est accepter que l’autre entre en nous-même comme il entrerait dans notre maison et s’y installerait un instant, s’asseyant dans notre fauteuil et prenant ses aises. Écouter, c’est vraiment laisser tomber tout ce qui nous occupe pour donner tout son temps à l’autre. C’est comme une promenade avec un ami : marcher à son pas, proche sans jamais gêner, se laisser conduire par lui, s’arrêter avec lui, repartir, pour rien, pour lui. 

Écouter, ce n’est pas chercher à répondre à l’autre sachant qu’il a en lui-même, les réponses à ses propres questions. C’est refuser de penser à la place de l’autre, de lui donner des conseils (…). Écouter, c’est accueillir l’autre avec reconnaissance tel qu’il se définit lui-même sans se substituer à lui pour lui dire ce qu’il doit être. C’est être ouvert positivement à toutes les idées, à tous les sujets, à toutes les expériences, à toutes les solutions, sans interpréter, sans juger, laissant à l’autre le temps et l’espace de trouver la voie qui est la sienne. Écouter ce n’est pas vouloir que quelqu’un soit comme ceci ou comme cela, c’est apprendre à découvrir ses qualités qui sont en lui spécifiques. Être attentif à quelqu’un qui souffre, ce n’est pas donner une solution ou une explication à sa souffrance, c’est lui permettre de la dire et de trouver lui-même son propre chemin pour s’en libérer. 

… Écouter c’est donner à l’autre ce que l’on ne nous a peut-être encore jamais donné : de l’attention, du temps, une présence affectueuse. C’est en apprenant à écouter les autres que nous arrivons à nous écouter nous-mêmes, notre corps et toutes nos émotions, c’est le chemin pour apprendre à écouter la terre et la vie, c’est devenir poète, c’est-à-dire sentir le cœur et voir l’âme des choses. A celui qui sait écouter est donné de ne plus vivre, à la surface : il communie à la vibration intérieure de tout vivant. »

Texte extrait de « Prendre sa vie en main par l’écoute réciproque et la décharge émotionnelle », André Gromolard, Ed. Chronique sociale