R, comme rendez-vous


Photo by Markus Spiske on Unsplash


Le chantier qui nous attend après la pandémie est immense. Nous allons devoir faire preuve d’humilité et de courage. Peut-être que nous sommes en train de nous dire qu’il faudra vivre autrement. Nous dialoguons avec nous-même dans notre intimité tous les jours. Ces paroles que nous nous adressons à nous-même, nous aurons besoin de les dire à d’autres. D’essayer ça, de le dire à d’autres ce que l’on s’est dit à soi. De demander aussi :  » Toi, tu en penses quoi ? Crois-tu que nous devrions changer quelque chose ? M’aideras-tu si je veux changer? N’as-tu pas trop peur ?  ». De demander aux vieux, aux enfants, aux collègues, à ses amours ce qui est en train de changer …

Bien sûr aujourd’hui nous rebatissons un quotidien. Nous appréhendons des heures nouvelles faites d’inquiétudes, de questionnements. Nous nous informons et faisons attention. Nous couvons quelque part des sentiments qui seront les fondations d’un monde à venir.

Je me dis aussi qu’il n’y a nulle obligation d’action. Faire attention aux mauvaises culpabilités. Rester attentif à ce qui émerge en nous. Etre le gardien de ses émotions. Se protéger des injonctions péremptoires. C’est comme poète que je dis cela. Chacun doit rester libre d’avancer dans sa vie comme il l’entend. Et s’il l’entend lente, solitaire alors il en jouira ainsi. Avancer ensemble sans écraser l’intime des êtres est d’une grande difficulté. C’est pour cela que chacun a le devoir d’être à son écoute. Il ne peut se constituer deux groupes. Ceux qui font et les autres. Cela est impossible. Si tu as besoin de partir alors pars, bouscule tes certitudes, quitte ce monde fatigué si tu le veux. Tu seras toujours un frère. Et surtout tu pourras toujours revenir si tu le veux. Nous serons là pour t’accueillir si jamais comme on dit… Faire communauté.

Un devoir ne se mesure que dans l’élan d’un cheminement personnel. L’amour, c’est exactement ne jamais se soucier de ce que les autres engagent. C’est s’engager soi-même et poser un regard tendre sur nos proches, sur ce qui nous entoure. Bien sûr si un grand soulèvement se fait alors c’est magnifique !! Alors nos pensées s’en vont nourrir le ciel de nouvelles espérances… Et n’oublions pas. Il y aura un temps superbe où nous pourrons interroger les autres, leur demander ce qui s’est passé pour eux.

Jean Haderer.

T, comme traversée


Photo by Lisa van Dijk on Unsplash


Le Corona est là et nos vies – professionnelles, familiales, amoureuses, sociales – basculent. Parfois radicalement. Il y aura un avant et un après. Un après inconnu mais le pire est loin d’être certain. Confusion des sentiments. Comme tout le monde. Envie d’agir, besoin de réfléchir. Suis-je prêt à cette nouvelle traversée ?  A vivre mes peurs, mes colères et mes tristesses ? Sans oublier de dire bonjour à mes joies ? Rester debout. Traverser. Et, à ma mesure, être présent pour ceux qui vont en avoir besoin. 

Pourquoi nouvelle traversée ? 

Les faits décrits ci-dessous se déroulent entre mars 2018 et Décembre 2019. Avant que cette crise collective ne voie le jour, je venais d’en traverser une de nature plus personnelle sur laquelle j’ai ressenti le besoin d’écrire. Je m’apprêtais à faire quelque chose de cet écrit et puis le coronavirus est arrivé. Sans prévenir. 

Pourquoi partager ? 

Tout simplement pour mieux écouter ce qui nous arrive. Sans présager de ce qui va nous arriver. Témoigner. Sans autre prétention. Et surtout pas celle de l’universalité de mon expérience. Voici donc le témoignage d’une crise vécue de l’intérieur. Comme une invitation à traverser toutes celles qui s’offrent ou s’imposent à nous. Même celles qui nous paraissent les plus terribles. Même et surtout les plus terribles. Pour ceux dont le cœur bat encore.   

« Tensions dans le bras gauche. Sensations de brûlure au niveau de la poitrine. Impression d’étouffement et de thorax qui se contracte. Crispation au niveau du visage, comme un début de paralysie. Fourmillements dans la main. Ca va mieux. Relâchement. Et ça recommence. Parfois de plus belle. Douche froide. Succession de soulagements et de déceptions. Quand cela va-t-il s’arrêter ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi comme cela ? 

Je rends visite à des médecins et fais des examens. Plein de médecins et plein d’examens. Recherche d’un sauveur. J’éprouve le besoin de me raccrocher à une explication physiologique qui me permet de rester débout. Durant un temps, je fais de la maladie de Lyme un compagnon de route. Un fil rouge pour élaborer un récit. Une façon de me rassurer sur ma propre image et celle que je peux renvoyer à mon entourage. Je prends des médicaments.

Je fais des malaises. J’ai le sentiment que tout va se dérober sous mes jambes. Je prends conscience de ma fragilité et perds le contact avec mes ressources, avec ces récits qui d’habitude m’aident à tenir. A certains moments, la crise m’envahit, me pénètre de l’intérieur sans que je ne puisse m’en défaire. Esprit obstrué. J’erre, j’ai le sentiment de me perdre. Parfois, moi qui me suis si souvent référé à la puissance de la modération prônée par Pierre Rabhi, je me dis que seule une issue radicale pourra mettre fin à ce cauchemar. Je craque et commence à me faire peur.  

Puis, je réalise petit à petit. Je fais des liens que je n’avais pas établi jusqu’ici. Je mets en conscience des phénomènes que j’avais, dans mon esprit structuré, eu tendance à séparer, regarder et appréhender de manière dissociée. Je pense et ressens. J’arrête ma recherche effrénée de causes médicales qui a eu comme effet collatéral d’augmenter mon sentiment d’impuissance. Je pense systémique, complexe, multi-causale, symbolique. Et je crois avoir à ce moment-là commencé à comprendre, à éprouver, à mettre en lumière l’origine du trouble, de la souffrance, de ma souffrance. 

Départ de Rosalie, mon ainée, de la maison. Départ de Michel, mon associé et fondateur de l’entreprise dont je suis devenu le propriétaire. 27 ans de vie commune avec Stéphanie. 45 ans, mi-temps de la vie. Dérèglement climatique. Inégalité grandissante et montée des populismes en tous genres. 

Changements de cycles. Deuils et pertes. Peurs, colères et tristesses. Qu’est-ce que je veux pour la suite ? Comment garder espoir ? Quelle flamme faire vivre ? 

Continuer le chemin et faire le lien entre ce qui m’arrive et mon histoire familiale. La concordance temporelle de ma crise avec celle de mon père. Et l’histoire de chute que je me suis racontée et qui avait eu tendance à me hanter jusqu’ici. Puis, me rappeler d’où je venais. Ce que mes grands-parents ont traversé, ce que les parents de mes grands-parents ont traversé. Et me reconnecter avec la partie juive de mon identité. Lui faire de la place. La chérir en guise d’hommage à mon histoire, mes racines et les combats pour la vie et la dignité de ceux qui m’ont précédé. Me rappeler que peu avant le début de l’arrivée de mes premiers symptômes, j’étais à Auschwitz avec Rosalie. Remettre mon médaillon. 

Repenser aux frères Cohen aussi. Et au film « a Simple Man ». Reconnaitre que j’ai investi ma première partie de ma vie comme un mensch. Un mec bien qui fait les choses bien comme il faut. Et me dire que j’aime le mensch qui est en moi mais que je ne souhaite pas me réduire à cette dimension identitaire. Oui, je revendique d’être un mensch ! Mais un mensch libre, un mensch qui pense plutôt qu’un mensch qui compense, un mensch qui aide plutôt qu’un mensch qui sauve, un mensch d’un nouveau genre qui sait qu’il a sa place sans avoir à prouver qu’il est sympa, qui sait que son point de vue a de la valeur qui sait qu’il a le droit d’exister et qu’il est digne d’amour. Même s’il est différent. Parce qu’il est singulier. Une histoire de place à prendre, à revendiquer, à affirmer. 

Le passage de la résistance à l’acceptation, celui de l’impatience d’un avenir meilleur au fait de gouter à nouveau à un présent aux multiples facettesCelui de la reliance entre hier, aujourd’hui et demain. Se laisser émerveiller. Partager avec ceux que j’aime et écouter. Courir et écrire. Manger et dormir. Lire. Ne jamais perdre de vue ce qui est important pour moi. Me lever le matin et me coucher le soir. Demander de l’aide. Me soigner. Accueillir ce qui fait du bien. Ma persévérance et ma capacité d’analyse. Mon souci de l’autre. Mon sens des responsabilités. Prendre ce qu’il y a à prendre et laisser le reste de ce qui m’est renvoyé. Accueillir l’ambivalence. Enfin, se rappeler l’homme qui est arrivé jusqu’à cette étape, se vivre comme un homme en chemin, et se projeter comme un résilient… » 

Sébastien Weill

P, comme ponctuation


Photo by Art Lasovsky on Unsplash


Un changement, quel qu’il soit, s’inscrit dans un cycle, une dynamique. Cela est vrai à l’échelle individuelle, à l’échelle d’un groupe, comme à l’échelle d’une société. Accompagner le changement consiste déjà à qualifier la nature de ce changement, l’inscrire dans un récit qui fasse sens. Continuité ? transformation ? rupture ? 

De ce point de vue, la métaphore de la ponctuation offre une palette de possibles. Parenthèse ? Point ? Virgule ? Point-virgule ? Point d’exclamation ? Point d’interrogation ? Ou points de suspension ? 

La parenthèse sera choisie par les conservateurs ; ceux qui voudraient que tout redevienne comme avant. Qui s’imaginent la crise, bien plus comme un incident que comme un symptôme d’un mal plus profond. Ceux qui se centrent sur l’écume des choses et peuvent omettre parfois  de se connecter avec le sens. Et la vie reprendra son cours considèrent-ils.  Y croient-ils vraiment ? Ou ne sont-ils tout simplement pas prêts à voir les choses autrement ? 

Le point sera l’option des collapsologues. Pour les plus pessimistes d’entre eux. Cette crise est pour eux le début de la fin. Ils se délectent d’avoir eu raison. L’effondrement est en cours et rien n’est à espérer ensuite. Un point c’est tout. 

La virgule est la ponctuation des poètes. Celle qui permet la respiration et qui invite à la réflexion. Ni dramatisation, ni minimisation. Une invitation à la création. L’art est une façon de transformer le malheur du monde. Une façon de dire des sentiments cachés. Et la virgule devient alors une arme. La prose un combat. 

Les systémiciens, les amoureux de la complexité, préféreront eux le point-virgule. Ni une fin, ni un début. Une transformation. Une interruption de pattern. De celles qui changent sans changer. Ceux pour qui le chemin est au moins aussi important que la destination. Ceux qui se méfient du binaire, du compliqué et des évidences aussi.  Ceux qui se font amis avec le signifié, le sous-jacent, le symbolique et le paradoxe. Ceux, enfin, qui savent que croissance des activités vertueuses et décroissance du reste peuvent cohabiter. Doivent cohabiter. 

Le point d’exclamation sera celui des collapsologues. Pour les plus optimistes d’entre eux cette fois. Attention, dernier avertissement ! Il est encore temps mais sachons tirer les leçons radicales et profondes de cette crise de la modernité. 

Le point d’interrogation sera l’allié des humbles. Ceux qui aiment l’art de la question. Et qui acceptent la part de mystère qui réside en toute chose complexe. Ceux qui ont fait le deuil de leur illusion de toute puissance. Qui se laissent guider par le courant de la vie. Qui chérissent le présent et savent que passé et futur ne sont que des vues de l’esprit. 

Les points de suspension seront choisis par les généreux. Ceux qui acceptent de partager leur récit, leur histoire. Qui sont prêts à la construire avec d’autres. A coopérer. A imaginer que d’autres savent ce qu’eux ne savent pas encore. Qui aiment se laisser porter par des imaginaires étrangers aux leurs. Qui se rappellent que le suspens est une façon de générer de l’adhésion, de la mobilisation. De la tension aussi. 

Quelque soit la ponctuation de cette séquence inédite, l’avenir reste à écrire. Et le présent reste à vivre.

Sébastien Weill 

C, comme contributions


Photo by chayenne tessari zanol on Unsplash


Nous partageons ici différents témoignages de nos clients, partenaires, amis, suite à la parution de notre blog.


« M, comme merci.
Merci pour cette initiative de créer du lien dans une période ou l’actualité nous impose de nous isoler.

Merci de ne pas nous considérer comme simples « clients » mais comme des personnes faisant partie intégrante de la vie de Relayance. Parce que nous avons vécu une aventure ensemble, nous entrons dans cette belle famille.

Merci de considérer nos parcours exprimés parfois avec douleur, comme des sources d’inspiration dans la construction de nos pensées individuelles et collectives.

Au travers des textes déjà écrits dans l’Abcdaire, Merci de nous autoriser à ne pas culpabiliser de ne rien faire. A accueillir ce confinement comme une possibilité et pas une contrainte. A accepter positivement ce bouleversement dans nos certitudes et dans notre mode de pensée.

Merci enfin de nous offrir une pensée, une réflexion, un avis, un débat … rythmé par un alphabet qui s’égrainera au fil de cette période, comme un compte à rebours vers une liberté retrouvée … »

Christophe


« (…) j’aime votre initiative.
J’ai choisi un poème de Paul Eluard pour alimenter la chaine d’amour et d’encouragement dont nous nous soutenons.
Merci.
Tenez la lampe allumée
.

La nuit n’est jamais complète. 
Il y a toujours puisque je le dis, 
Puisque je l’affirme, 
Au bout du chagrin, 
une fenêtre ouverte, 
une fenêtre éclairée. 
Il y a toujours un rêve qui veille, 
désir à combler, 
faim à satisfaire, 
un cœur généreux, 
une main tendue, 
une main ouverte, 
des yeux attentifs, 
une vie : la vie à se partager.
Paul Éluard. »

Michel


« A comme Abondance,

Les jours de confinement internationaux passent et une question me taraude : qu’est-ce-qui me manque ?


Mes proches ? Je peux les contacter, je prends des nouvelles, je parle plus souvent que d’habitude à tous ceux qui m’entourent de près ou de loin …


De la nourriture ? Je peux trouver toutes les nourritures dont j’ai vraiment besoin ; manger et prendre soin de mon corps ; lire et prendre soin de mes pensées ; écouter de la musique et prendre soin de ma créativité …


Du temps ? Étrangement, les jours filent toujours autant … je fais beaucoup de choses au quotidien que je ne faisais pas avant … je prends le temps de nourrir des liens, de nourrir mes envies, de calme, de nature, de paix intérieure, … 


Et si finalement tout cela venait à me manquer après ??? Non, je peux choisir d’avoir ce qui est important pour moi.


Oui, je décide de m’offrir l’abondance et de savourer chaque moment présent avec simplicité et humilité. »

Rébecca


Le comité de rédaction a accueilli très positivement ces retours !
N’hésitez pas, toutes vos contributions sont les bienvenues, en commentaire ou en cliquant sur le formulaire contact.

E, comme écoute


Photo by Hayes Potter on Unsplash


« Écouter, c’est le plus beau cadeau que nous puissions faire à quelqu’un … C’est lui dire, non pas avec des mots, mais avec ses yeux, son visage, son sourire et tout son corps : tu es important pour moi, tu es intéressant, je suis heureux que tu sois là … Pas étonnant si la meilleure façon pour une personne de se révéler à elle-même, c’est d’être écoutée par une autre ! 

Écouter, c’est commencer par se taire … Avez-vous remarqué comment les « dialogues » sont remplis d’expressions du genre : « C’est comme moi quand … » ou bien « ça me rappelle ce qui m’est arrivé… » Bien souvent ce que l’autre dit n’est qu’une occasion de parler de soi. Écouter, c’est commencer par arrêter son petit cinéma intérieur, son monologue portatif, pour se laisser transformer par l’autre. C’est accepter que l’autre entre en nous-même comme il entrerait dans notre maison et s’y installerait un instant, s’asseyant dans notre fauteuil et prenant ses aises. Écouter, c’est vraiment laisser tomber tout ce qui nous occupe pour donner tout son temps à l’autre. C’est comme une promenade avec un ami : marcher à son pas, proche sans jamais gêner, se laisser conduire par lui, s’arrêter avec lui, repartir, pour rien, pour lui. 

Écouter, ce n’est pas chercher à répondre à l’autre sachant qu’il a en lui-même, les réponses à ses propres questions. C’est refuser de penser à la place de l’autre, de lui donner des conseils (…). Écouter, c’est accueillir l’autre avec reconnaissance tel qu’il se définit lui-même sans se substituer à lui pour lui dire ce qu’il doit être. C’est être ouvert positivement à toutes les idées, à tous les sujets, à toutes les expériences, à toutes les solutions, sans interpréter, sans juger, laissant à l’autre le temps et l’espace de trouver la voie qui est la sienne. Écouter ce n’est pas vouloir que quelqu’un soit comme ceci ou comme cela, c’est apprendre à découvrir ses qualités qui sont en lui spécifiques. Être attentif à quelqu’un qui souffre, ce n’est pas donner une solution ou une explication à sa souffrance, c’est lui permettre de la dire et de trouver lui-même son propre chemin pour s’en libérer. 

… Écouter c’est donner à l’autre ce que l’on ne nous a peut-être encore jamais donné : de l’attention, du temps, une présence affectueuse. C’est en apprenant à écouter les autres que nous arrivons à nous écouter nous-mêmes, notre corps et toutes nos émotions, c’est le chemin pour apprendre à écouter la terre et la vie, c’est devenir poète, c’est-à-dire sentir le cœur et voir l’âme des choses. A celui qui sait écouter est donné de ne plus vivre, à la surface : il communie à la vibration intérieure de tout vivant. »

Texte extrait de « Prendre sa vie en main par l’écoute réciproque et la décharge émotionnelle », André Gromolard, Ed. Chronique sociale 

L, comme libres


Photo by Mat Reding on Unsplash


Confinés et libres. 

Confinés et contraints de rester chez nous. Dans des intérieurs plus ou moins confortables, plus ou moins accueillants, plus ou moins grands. Mise au grand jour de nos inégalités. Des privilèges de certains.  Des privations des autres. De l’arbitraire de nos vies. 

Confinés et parfois malades. Entre la vie et la mort. Parfois déjà morts. 

Nous sommes confinés, certes. Et pourtant. Comme une occasion inouïe de reprendre conscience de notre liberté existentielle. Du fait que les chaines invisibles qui influent sur nos vies quotidiennes et routinières et auxquelles nous nous soumettons inconsciemment sont bien plus contraignantes qu’un mois de confinement. Et qu’elles peuvent se défaire. Pourquoi pas maintenant ? 

Libres de renier ses valeurs, de les faire vivre. Pourquoi pas de les honorer. De préférer la dignité à la grossièreté.

Libres de faire la pause que j’attendais depuis si longtemps. De respirer. De me sentir coupable. Ou bien au contraire, de savourer ce moment si précieux. De s’en délecter. 

Libres de penser. De réfléchir et d’écrire. S’écrire à soi-même. Et en même temps à ceux que l’on aime. A ceux que l’on ne connait pas encore. 

Libres d’éprouver. De goûter, sentir, voir, entendre et toucher. De pleurer. D’être triste. De rire ou d’en rire. D’avoir peur et d’aimer. 

Libres d’être en lien. De partager. De renforcer ces liens. D’en construire de nouveaux ?  De pardonner aussi. 

Libres de changer de regard. D’imaginer du vert là où l’on voit du bleu. De mélanger les couleurs. De mettre de la nuance. D’accepter le noir. De se méfier du blanc. Choisir des pastels, des crayons ou des feutres.  

Libres d’honorer nos héritages. De les transformer ou de les renier. Quoi qu’il en soit d’en faire ce qu’il nous semble bon d’en faire. 

Libres de projeter, de rêver. D’imaginer un après différent. Une vie nouvelle.  Pourquoi pas plus belle encore ? 

Libres de renoncer ou de se battre. De renoncer et de se battre. 

Et puis, il y a l’espoir… 

Sébastien Weill

D, comme déconstruction


Photo by Lujia Zhang on Unsplash


Déconstruire, c’est dire au revoir aux évidences. Apprendre à s’en passer, à vivre sans. 

Déconstruire, c’est comme une invitation à partir d’un écran blanc au moment d’amorcer une expérience, d’engager une rencontre, d’aborder une réflexion. 

Déconstruire, c’est oser questionner et mettre au travail ce qui se présente comme la Vérité.  

Déconstruire, c’est considérer le normatif comme un ennemi et la résistance comme un allié, le dominant comme une menace et le minoritaire comme un espoir. 

Déconstruire, c’est aller à la rencontre de l’autre, de sa vision du monde en s’étant préparé à modifier, transformer, sa propre représentation de ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, acceptable ou interdit, beau ou laid. 

Déconstruire, c’est ne rien accepter comme acquis, définitif, fermé. C’est offrir une virgule au point, une nuance à la radicalité, un doute à la certitude, un making-off au produit fini. 

Déconstruire, c’est se dire enfin que tout ce qui se passe est à la fois profondément triste, inquiétant et menaçant. Sans négliger l’enthousiasme à découvrir et éprouver bientôt le monde nouveau en train de naître.  

Comme tu le faisais lorsque tu étais enfant avant de t’endormir…

Sébastien Weill

P, comme poésie


Photo by Eduard Militaru on Unsplash


Quelque part dans le monde des êtres doivent se confiner. C’est chez nous. Là, tout près… Dans cette vieille ville aux souvenirs douloureux. Les sirènes des ambulances contrastent avec une forme de silence retrouvé. L’activité s’arrête, les consciences s’agitent. Le soleil domine tout et mange nos cœurs. Les fleurs éclatent, les parfums du printemps jouissent d’une liberté sans égal. Juste un peu plus loin, des femmes et des hommes risquent leur vie. Des malades bien sûr. Du personnel soignant. Comment raconter leur courage ? Comment ne pas être ému par la bataille qu’ils mènent à chaque instant. Leur force, leur élégance d’âme est partout. Elles nous éclairent.

Vivre alors ce temps de clair/obscur. Regarder la mort. Regarder la vie. Retrouver dans nos gestes la chair du monde, les épaisseurs de l’être.

Les sirènes encore qui se précipitent sur le malheur. Elles emmènent des corps meurtris. Elles arrachent les êtres aimés. Elles foncent dans les rues vides et les Hommes se parlent. Ces ambulances sont des mondes en devenir. Il s’y murmure des paroles prophétiques, des paroles d’amitié. Les mains qui prennent d’autres mains, des mains qui soutiennent les visages. Ces mains-là fabriquent les temps à venir. Elles fabriquent des prières pleines de vie, une humanité qui recouvre la mémoire de sa grandeur.

La ville a changé de visage. Elle se souvient d’anciennes heures difficiles. La mobilisation s’organise. L’effroi est parfois dans les cœurs. Des joies surprenantes nous guident. Une colombe au col bleu/nuit vient de se poser sur le rebord de ma fenêtre. Elle aussi écoute ce grand changement. Si joliment étonnée… Les larmes viennent.

Jean Haderer.